Si l’on peut définir un degré de démocratie en regard d’un degré de proximité, il est évident que l’ergonomie des espaces numériques doit être démocratique car proche de tous et à destination de tous. Mais il faut rester vigilant et ne pas se perdre dans une sémantique qui pourrait nous amener à positionner l’ergonomie à destination de chacun.
L’ergonomie, la science du travail,comme toute science répond à des règles, théorèmes ou axiomes mis en application dans un cadre, un contexte où le hasard, l’approximation n’ont pas leur place.
Comme le rappelle de temps à autre Jacob Nielsen, nous ne sommes pas en présence d’une science exacte mais d’une matière où l’expérimentation et l’empirisme ont une place dans une démarche globale. L’expérience fait sens si elle est motivée et maitrisée.
Nous cherchons ainsi à concevoir des interfaces à destination de tous dans un contexte et avec des objectifs définis. Ceci étant dit, cela signifie, pour partie, que les interfaces ne sont qu’à destination d’une partie du tout.
C’est là que la proximité peut faire son œuvre. Tout le monde, tous les interlocuteurs peuvent non pas exprimer des besoins, des objectifs voire des envies mais directement des solutions. A chacun sa solution, selon ses envies, son expérience toute personnelle faite de réussites et d’échecs, de manipulations et de réflexes éduqués.
Transportons nous dans une salle de réunion à présenter un concept, des interfaces et les principes ergonomiques attenant au cahier des charges. Tout se passe pour le mieux (le dossier est bien préparé et nous sommes des experts, ne l’oublions pas..) quant, tout à coup, les premières vraies questions fusent, arrivent les premières évolutions ou les questionnements vis à vis de nos propositions les moins habituelles, les moins “c’est comme ça sur Internet”. Car, ne nous trompons pas, certains interlocuteurs n’attendent qu’une chose: que nous soyons d’accord avec eux et c’est – il faut bien l’avouer – la spécialité de certains experts.
Bienvenue dans le monde luxueux de Oui-Oui. Mais reprenons, les premières interrogations trouvent en écho les premiers arguments, etc. Généralement cela se passe bien et ensembles, nous construisons la solution. Il arrive tout de même qu’un appel au vote soit fait. Attitude et expression qui nient tout contexte ou usage mais qui considèrent l’utilisateur (et non l’internaute) comme une machine virtuelle, utilisateur d’un monde unique où les besoins et attitudes sont normés par le média et par le plus grand nombre. Beauté de l’unicité de la pratique, “one world, one voice“.
Les résultats sont alors très intéressants et remarques. Nous retrouvons ainsi dans une situation de démocratie absolue (1 personne = 1 voix plus celle du chef) alors que nous devrions être dans un rapport de servitude intelligent, respectueux et raisonné. Servitude ?!! Et oui. Tout apport de conseil et d’expertise ne peut se faire que dans le cadre d’objectifs et de raisons. L’expertise en tant que simple exercice pédant se révèle aussi ennuyeux qu’inutile.. Nous sommes donc au service de nos clients, des objectifs de nos clients et bien souvent au service des clients de nos clients.
Nous voici affublés du nouveau titre : servant. Titre noble par excellence, surtout lorsqu’il est utilisé avec qualité, expertise et raison. Il n’est pas question ici de faire l’éloge des ambassadeurs du monde de Oui oui. Un servant anticipe, propose, gère, élimine l’imprévu et l’impossible. Le servant accompagne, protège, rappelle et peut même être la conscience, la voie de la raison !
Notre client, riche de servants performants qu’il paye fort cher, en arrive donc a prendre la tête de la fronde. Il prend d’autorité le rôle du servant (touchez votre bosse monseigneur) et transforme son serveur en spectateur passif d’une catastrophe annoncée.
Mais finalement pourquoi pas, l’important ne serait-il pas de payer cher pour justifier tout et le reste. À ce prix là , le résultat ne peut être que bon !.
Certes et cette règle devrait être tue, le prix est l’expression de la valeur; en fait, il est en partie le résultat de la valeur perçue (aie !). Le savoir-faire et faire-savoir sont donc la pierre angulaire de nos activités.
Mais revenons à la journée d’un servant et sa relation, parfois difficile, à la vindicte populaire aussi nommée démocratie car “à ce prix là”, le client considère acheter de l’expertise, une maitrise de la science du travail et de sa mise en œuvre. Hypothèse qui réduit à néant la fronde décrite quelques lignes plus haut, il ne s’agit donc plus d’une situation de démocratie absolue mais d’une délégation de pouvoir : l’expert à raison et sa voix faut 100, 1000, 10 000 voix, y compris celle du chef. L’expert apporte son expérience, sa connaissance, sa raison et surtout son art de la démonstration. Art qui doit lui permettre de d’expliquer simplement des concepts d’utilisabilité des Interfaces sans effrayer et en captivant son auditoire. Nous voici, rapidement, revenu au faire-savoir afin de permettre au savoir-faire de s’exprimer.
Interlude. Il est intéressant de constater que dans un avion, le choix de la piste d’atterrissage et la vitesse d’approche – entre autres – n’est pas soumis aux votes des passagers mais que ce sont bien des décisions prises par le contrôleur aérien et le pilote. Ils ont l’expérience, la connaissance et la raison pour le faire parfaitement. Oui, il existe des cas d’erreurs. Cas où le plus souvent ces experts appliquent la bonne solution pour corriger le souci et, en considérant ces situations, ils se trompent 1000, 10 000, 1 million de fois moins que si l’on considère les hypothétiques votes organisés parmi les passagers.
Mais alors, quelle est la différence entre un ergonome et un pilote d’avion ? Globalement deux éléments majeurs, la notoriété et la distance.
La notoriété c’est l’image perçue et rêvée : l’image de marque. Pilote est une activité respectée, difficile et respectée. Notre enfance est bercée par des héros aux acrobaties époustouflantes. Mais au delà , c’est la distance, l’inaccessible qui renforce le respect, le pilote reste un mythe inaccessible pour la plupart. Qui oserait prendre la place du pilote dans le monde réel où le “éditer/annuler” reste très peu efficace.
Ainsi donc l’ergonome et l’ergonomie seraient victimes d’une trop grande proximité!
Pas tout à fait, comme nous l’avons vu dans ce billet, l’art de la communication, du faire-savoir est fondamental. Il ne s’agit pas uniquement de distiller une bonne parole, des solutions posées comme des pavés dans une soupe mais d’expliquer, d’accompagner. L’ergonome après avoir compris le contexte et les objectifs doit, à son tour, faire comprendre son approche, ses solutions. Il doit rassurer son client car la peur est sans doute une des premières sources de prise de pouvoir par le client. Nous parlons de cette matière dangereuse et parfois instable : la confiance.
Le client n’a pas à imaginer l’adéquation de nos propositions à ses besoins, cela doit être évident. Nous sommes ses servants, l’approche proposée doit être une solution sur mesure constituée d’éléments industrialisés qui par un assemblage de haute qualité s’adapte sans aucun effort à la situation.
Un monde parfait bien loin de celui de Oui-oui.
Pour finir, au delà de ses équipes et de ses compétences, l’ergonome n’est pas seul, il peut faire appel aux utilisateurs et chercher des réponses, des arguments dans quelques séries de tests utilisateurs qui restent un des meilleurs support d’arguments.