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Un nouveau monde

Alors que la question du temps de travail, de la capacité à prendre une retraite, de l’impact de nos vies sur la planète sont des questions qui nourrissent les débats, la relation au travail est un sujet central de notre société. Cœur de notre relation à l’autre et de nos vies, le travail est de plus en plus perçu comme une contrainte. Mais que devrait représenter le travail ?  Le travail devrait être la faculté à produire pour soi ou pour l’autre, la capacité à permettre de se nourrir, s’habiller, s’éduquer, se loger, se distraire, etc.

Aujourd’hui, nous travaillons pour gagner un revenu qui nous permet ensuite de réaliser tout ou partie de cette capacité. Au-delà même de l’intérêt de notre valeur travail, le sens réel de notre activité professionnelle est basée essentiellement sur la valeur-argent. La représentation la plus directe est d’avoir une bonne situation et non de produire pour l’Autre. Nous sommes potentiellement orthogonales avec la notion de produire pour soi ou autrui, le fait d’apporter du bien et du bonheur à l’Autre. Est-ce la réaction à l’origine même du verbe travailler qui en latin vulgaire a pour sens “torturer”, issu d’un instrument de torture à trois pals ? La pénibilité du travail est donc intégrée à son étymologie. Peut-être devrions nous considérer la notion d’activité afin de ne plus subir les origines de la chose et d’augmenter la distance entre travail et punition. Parler d’activité afin d’être dans l’action, agir pour nous et pour l’Autre.

Ainsi, nos activités – ou du moins une partie de celles-ci – devraient avoir comme objectifs principaux nos subsistances. Ces objectifs n’ont rien d’exclusif en termes de qualité de la production, mais impactent le sens de cette production, la relation à l’utilisateur (et non consommateur) de la valeur produite et donc la relation que nous pouvons avoir à notre activité, notre valeur-travail.

Aujourd’hui, l’activité semble subie, trop souvent vide de sens et c’est normal à partir du moment où sa fonction est devenue celle du gain de la valeur argent et non plus d’une valeur de production (le bien de l’Autre) qui – par conséquence – produit une valeur argent. Notre activité nous rapporte une valeur argent et nous ne percevons pas nécessairement la valeur-travail, l’intérêt de la production. Le biais est d’autant plus vrai lorsque nous savons que notre production a pour objectif primaire une double valeur-argent : les producteurs et les propriétaires (notamment les actionnaires) pour une valeur-travail parfois difficile à réellement percevoir. La perte de sens s’accompagne ainsi d’une perte de repères. Cette perte de repère est augmentée par l’uniformisation des processus, des attitudes, des lieux. Pour quoi, pour qui dois-je produire ? Pour moi d’abord, pour une rémunération. In fine, je produis ma rémunération et la satisfaction d’un système hiérarchique qui énonce les règles et la satisfaction liées à l’ensemble d’une chaîne de valeurs plus ou moins perceptible. Il existe d’ailleurs de plus en plus d’exemples où la valeur produite (et donc potentiellement la valorisation de cette activité) n’est pas la valeur primaire de cette production, mais la valeur communiquée, la valeur “markétée”. Il suffit de prendre la grande distribution, les services bancaires, etc. pour constater l’écart flagrant entre la valeur produite objective et la valeur vendue et communiquée.

Nos activités – au moins professionnelles – seraient en pleine perte de sens et si l’on prend l’activité salariée en particulier, une forme d’échec à l’épanouissement et au bien-être personnel. N’en déplaise au CHO (Chief Happiness Officer) ou autre décorateur d’intérieur de lieux de travail.

La crise sanitaire liée à la COVID-19 et la mise en place massive du travail déporté (télétravail est un mot étrange) a permis – à ceux qui ont pu en profiter – de s’échapper de l’embrigadement systémique et de retrouver une nouvelle approche de leur activité : produire en proximité et en accord avec leur lieu de vie, retrouver du temps pour soi et pour les autres. À défaut de sens dans leur activité professionnelle, plus de sens et d’intérêt dans leur vie.

Retrouver du sens

Mais le travail déporté a pu également questionner la notion de coercition géographique, cette obligation de vivre là où l’activité est. Nous devions donc, jusqu’alors, être positionnés et plus souvent concentrés dans et autour de pôles d’activité faisant de nos pays des zones concentrationnaires. Des points de production qui peuvent sembler être des points de vie. Vraiment ? De fait, le recours plus important au travail déporté a amorcé une forme de fuite, un autre type de migration. Pour ceux qui le peuvent, une partie de la réalité est de vivre chez eux (là où ils souhaitent, plus là où ils doivent) et travailler à distance afin de continuer à être rémunéré. L’autre est devenu écran, la voix est devenue onde. Les liens entre producteurs et propriétaires s’est distendue et la relation au hiérarchique nécessairement contractualisée dans un décorum de faux semblants et d’émoticônes de soutien et de bonheur organisé. L’entreprise se transformant en un vaste réseau social se vidant encore un peu plus de sens et de valeur.

Il est donc possible d’agir, d’interagir de manière décentralisée. D’ailleurs, il n’est plus rare de croiser de petites structures – souvent autogérées – opérer totalement et uniquement de manière décentralisée.

Décentraliser

Riche idée, décentraliser la production, les prises de décisions, revoir les modèles collaboratifs et managériaux. Tout cela est parfait lorsque l’on considère des modèles basés sur des services et des biens immatériaux mais quelle pourrait être la réalité pour la production matérielle ?

La même chose, en fait. Ou presque.

Revenons à la notion d’activité, cette faculté à produire pour soi ou pour l’autre, cette capacité à produire afin de permettre de se nourrir, s’habiller, s’éduquer, se loger, se distraire, etc. Pourquoi ne pas la penser comme un maillage, une capacité à produire par plus petites unités pour un territoire donné. Penser la décentralisation comme la capacité non seulement à produire, mais à distribuer localement. Produire de cette manière, c’est produire à plus petite échelle, une forme de micro-industrie avec des rendements moindre et une taylorisation raisonnée. Nous savons produire des machines plus performantes localement du fait de l’évolution étonnante de nos maîtrises technologiques et des moyens absolus de communication. Nous savons le faire, mais nous l’avons mis au service d’une industrie concentrationnaire qui ne sait plus fonctionner qu’à flux hyper tendus, renforçant de fait le stress de la production. Un vrai cercle infernal. Coupons court à ce système et décidons de ne produire que local avec une distribution directe. Est-ce totalement hérétique ?

Il est clair que les coûts-ratio de production vont augmenter (mettons une multiplication par 2) avec la nécessité d’employer plus de personnel pour une production donnée en regard du système concentrationnaire et délocalisé actuel. Soit. Mais dans un système de micro-industrie local, la qualité augmente (et donc la durabilité), la capacité de respecter les particularismes locaux, les coûts de transport et de distribution sont ramenés à quasiment zéro. Si l’on prend l’exemple d’un Denim, un jeans pour faire simple. Actuellement, produit dans un pays du sud, son coût est réparti comme suit :

  • Transport 5 % ;
  • Coûts de fabrication 10 % (dont 1,5 à 3 % de main-d’œuvre) ;
  • Part de la marque 40 % (marketing, salaires, bénéfices…) ;
  • Part du magasin 45 % (loyer, électricité, salaires, TVA, bénéfices…).

Si l’on considère le même jeans produit en France, la répartition est légèrement différente :

  • Marketing 5 % ;
  • Expédition vers le client 8 % ;
  • Loyer, énergie, amortissement matériel 8,5 % ;
  • TVA 16,5 % ;
  • Personnel (gestion, communication, informatique…) 25 % ;
  • Coûts de fabrication 37 % (dont 60 % de main-d’œuvre, soit 22 % du total)

Il est donc facilement de considérer dans un système décentralisé et à boucle locale – sans questionner certains coûts liés au système actuel – de tomber à moins de 60 % du coût actuel. Lorsque l’on considère que dans cette industrie – mais ce n’est pas la seule – pour qu’un article soit rentable, il faut multiplier le coût de fabrication (en sortie de chaîne de production) par 2,5 au minimum pour calculer le prix de vente (cela peut aller jusqu’à x 12 pour les acteurs mondiaux). Il y a de ce fait de la marge. En considérant une économie locale et responsable, il est probable que le coût final, c’est-à-dire à l’achat, soit très proche du coût actuel avec un impact environnemental bien inférieur.

Cela ne signifie en rien un système de lieux, régions ou baronnies isolées, bien au contraire. Une marque totalement décentralisée pourrait proposer des modèles en commun aux différentes unités de production tout en permettant la fabrication de modèles spécifiques à une unité. L’achat serait réalisé à l’usine ou à des relais dépôts, des lieux de rencontres et d’échange (sur le modèle des points relais ou plus traditionnellement des dépôts de pain en régions).

Ce n’est pas non plus une négation ou un rejet- bien au contraire – de la standardisation. La standardisation, mais plus l’uniformisation. L’uniformité est subite et pose le consommateur au service du produit. La standardisation cherche à faciliter la reproduction de paramètres de conception, de fabrication et d’utilisation afin de faciliter (permettre) l’échange et la communication (taille des vêtements, protocoles techniques, etc.). La décentralisation amène donc la capacité dans des conditions d’échanges standardisés et donc harmonieux à partager et personnaliser tout en maîtrisant les coûts et la capacité à partager les outils et processus de fabrication. Chaque pôle micro-industriel gagne ainsi en liberté, en capacité à proposer des produits adaptés, personnalisés à son contexte et son environnement sans devoir réinventer les fondamentaux. C’est riche, créatif, ouvert et naturellement bénéfique à tous.
Nous produisons pour nous et non plus pour une industrie.

Appliquons ce modèle au reste des productions et des services. L’équilibre entre micro-industrie et coûts supplémentaires est réalisé par la disparition des transports moyens et longs, par l’éradication des intermédiaires et de logistiques aux impacts environnementaux dramatiques. De fait, nous produisons où nous sommes, nous voyons ce que nous produisons et nous connaissons les utilisateurs, bénéficiaires de nos productions. Nous retrouvons la valeur de la production. Bien entendu, cette approche n’a une chance de pouvoir fonctionner que si l’importation de ces produits est sur-taxée. Il ne doit pas être interdit d’acheter 1000 € à l’autre bout de la planète un jeans qui ne coûterait que 80 € au fabricant du coin.

Un tel système induit nécessairement une augmentation du ratio personne / unité produite et vendue et donc potentiellement un besoin de personnel plus important (et moins de sous-emploi ?).

Des productions telles que la production technologique potentiellement haut de gamme s’intègre parfaitement dans ce système et entraîne de fait la poursuite de certains échanges liés à des matériaux rares ou précieux, mais dans un système de ce type, la proximité de la fabrique est un moteur de la réparabilité et de la durabilité des produits. De fait, on s’intéresse à la fonction du produit et nettement moins à son potentiel d’image dans un contexte de pression marketing continu. Par exemple, un ordinateur ou un téléphone n’est plus remplacé, il est mis à jour. Les composants physiques mis à jour sont recyclés?; ce n’est plus un ensemble monobloc qui est remplacé / jeté, mais une partie (processeur, disque, mémoire, écran, etc.). La mise à jour est donc à la fois logicielle et matérielle. Certains concepts comme le Dell Luna montre la voie.

Cet exemple fonctionne également pour les véhicules particuliers et encore plus pour les véhicules de transports en commun qui pourront être produits, mis à jour et réparés sur leurs lieux de fabrication qui seront placés à proximité des lieux de mise en service pour rejoindre leurs lieux d’affectation.

Appliquer à l’alimentation, nous achetons chez le producteur ou dans des maisons de producteurs, la rémunération des productions / transformateurs alimentaires augmente de fait avec un coût de produit raisonné, mais nous arrêtons de manger des fraises et des cerises fraîches au mois de décembre. Nous ré-apprenons la nature, la saisonnalité des produits, l’art culinaire et autres bonheurs.  Naturellement, le prix de certaines denrées (le foie gras, et autres) risque de s’envoler, mais est-ce un problème ? Ces produits étaient – encore récemment – des produits rares et chers, mais toujours de qualité. Est-ce un problème ? Non, bien entendu. Retrouvons le sens de nos activités et le sens des produits.

L’agriculture aussi

Ainsi, nous décentralisons et profitons de nos savoir-faire locaux dans une économie ouverte et raisonnée. Donc, nous occupons l’espace. Le prix du logement, de l’habitation n’est plus indexée sur la concentration, mais sur la valeur intrinsèque de l’ouvrage. Il est plus évident de profiter d’un habitat décent dans ces conditions. Plus aucune raison de se concentrer avec des densités qui dépassent – et de loin – l’indécence (38 000 habitants par km² dans certains quartiers de Paris). Une maison avec jardin (potager ?) peut devenir la norme et sans représenter une dette environnementale. La redéfinition de petits habitats réellement collectifs peut voir le jour où vivre en commun, en communauté, est un choix et non plus une servitude.

Reste quelques questions, l’enseignement. Il est sans doute souhaitable de proposer des lieux de petites concentrations – lieux de vie, d’apprentissage et d’étude – pour les étudiants (dès le niveau lycée ?) et de ne plus nécessairement sur-différentier la production manuelle, l’artisanat ou la production intellectuelle dans un premier temps (aucun n’étant supérieur à l’autre). Mais une partie de l’enseignement peut être réalisée à distance Quel que soit le niveau. Pourquoi ne pas imaginer des lieux d’apprentissage avec des aidants présents physiquement et des intervenants sachants / experts opérant le plus souvent à distance (ce qui n’empêche pas – au contraire – une rencontre physique de temps à autre). Puisqu’une partie de l’activité professionnelle – au moins – est réalisée à distance, pourquoi une partie de l’enseignement ne pourra pas l’être. Le fait de le faire dans des lieux spécifiques – mais en petits groupes – avec des accompagnants sur place ne rompt pas le contact physique, l’interaction à l’autre et permet la mise en place de ce système dès les premières années d’apprentissage. Ce système permet également à des familles nomades de suivre tout à fait normalement la complétude d’un cycle d’enseignement avec la qualité que des sédentaires.

Le fait d’avoir les intervenants sachants / experts en grande partie à distance – et avec les moyens technologiques adaptés – permet d’augmenter fortement la qualité et la qualité des intervenants. Il n’y a plus de limite.

Allons encore un cran plus loin, une partie de la production d’énergie pourrait être localisée. En considérant ce système décentralisé et local, il est naturel de considérer également un système de gouvernance plus décentralisé avec une augmentation de l’autonomie locale et régionale. Il est donc possible d’imaginer plus d’implémentation de fermes énergétiques locales qu’actuellement, car leurs installations ne seraient plus dictées par une force centrale pour un bien commun dont on ignore le contour (a-t-on intérêt à “ruiner” un espace de sa région afin de vendre de l’énergie à prix d’or à l’autre bout du continent ?). Là, nous choisissons de produire en qualité, moyens et quantité en accord avec nos besoins dans le cadre d’une gestion locale. Il est ainsi plus facile d’accepter une ferme éolienne ou solaire à taille humaine qui nous alimente qu’un méga système que l’on subit. Bien entendu, ces systèmes sont interopérables et ils s’organisent dans un maillage solidaire (c’est vrai pour toutes les ressources naturelles). Cela signifie naturellement que des systèmes de gestion et de gouvernance des ressources partagées sont nécessaires. Système basé sur le partage, l’équité et un absolu respect de l’environnement.

Est-ce la fin d’un système mondial ? Non, le partage des connaissances, le commerce immatériel, les échanges culturels, intellectuels et tout ce qui nous défini perdurent, mais dans un système non dominant et non concentrationnaire. Un système qui nous place comme un des constituants de notre environnement, de la planète et non plus dans un système de domination qui nous attribue la propriété de tout.

L’économie n’est plus le moteur, c’est une conséquence.

Un tel fonctionnement décentralisé et local n’est pas un retour de baronnies féodalisantes mais une gestion démocratique plus proche des citoyens et de leurs vies avec des règles communes à tous avec des pouvoirs vérificateurs et de supervision qui s’assurent du bien commun démocratique et du respect des droits, devoirs et libertés de tous. De fait, se pose la question de l’autonomie locale et régionale ainsi que la place de l’État central national versus l’État central continental (l’Europe pour la France). Il semble qu’une simplification du mille-feuille actuel soit plus que nécessaire en gardant une feuille, un rôle et une responsabilité par strate opérationnelle : locale, régionale, nationale et continentale. Le lieu de proximité ne peut pas décider de tout et doit être relié avec ses voisins dans toute une série de sujets d’interdépendance et d’échange, les strates globales doivent vérifier le respect des règles partagées et l’absence de dérive des strates locales, mais c’est également le cas des strates les plus en proximité qui ne sont en aucun cas vassaux des autres…

Non, un tel système ne casse pas nécessairement les inégalités, les écarts de salaire ou de richesses perdurent, mais sans aucun doute basés sur d’autres valeurs et dans des proportions bien moindre.

Osons !

Voilà mon monde, mon monde rêvé. Celui où chacun a le droit et le pouvoir d’exister pour ce qu’il est de plus fondamental. Un monde où nous faisons le choix du vivre ensemble. Un monde où le travail n’est plus, mais des activités de production prennent sens pour soi et pour l’Autre.
Ce monde n’est pas une utopie, il suffit de décider, de le décider.
Il suffit de dire “stop !” à des dirigeants qui ne dirigent plus que pour eux-mêmes et qui sont devenus marionnettes d’un système qu’ils n’ont même pas créé.
Il suffit de dire “stop !” à nos égoïsmes insensés qui nous font subir un système que nous n’avons pas créé et qui ne représente rien.

Arrêtons les faux semblants, devenons acteurs, consom’acteurs. Laissons de la liberté aux autres habitants de cette planète, laissons la planète, la nature, la faune, la flore se gérer, ils, elles n’ont pas besoin de nous.

Acceptons ce que nous sommes et profitons du bonheur que représente cette planète.

Références

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